Municipales – Montpellier : le fiasco Mandroux…

Après avoir travaillé des années dans l’ombre de Georges Frêche, la maire de Montpellier a été évincée par le Premier ministre en personne.

Cela faisait bien longtemps que Jean-Marc Ayrault ne s’était occupé lui-même des affaires du Parti socialiste. Le 3 décembre, un mardi, il s’y est collé. Le Premier ministre est alors à Montpellier pour un grand raout sur la mer. Dans les couloirs du Corum, le centre des congrès montpelliérain, les journalistes le questionnent sur un sujet qui n’a rien à voir avec sa venue : l’avenir de la maire, Hélène Mandroux, qui n’a toujours pas dit si, oui ou non, elle briguait un nouveau mandat. Le nez dans les micros, Jean-Marc Ayrault éclaire enfin leur lanterne avec une précision inhabituelle. Qu’on en juge : « Hélène Mandroux a décidé de ne pas se représenter. C’est son choix. Je le respecte. Par ailleurs, elle n’a pas envie de rester inactive. Elle annoncera dans quelques jours, conjointement avec moi, la mission que j’ai décidé de lui confier. » Harlem Désir, le patron du PS, n’aurait pas fait mieux.

Hélène Mandroux n’a plus rien à annoncer aux Montpelliérains. Le soir même, vers 18 heures, elle se fend tout de même d’un communiqué un peu piteux pour confirmer son retrait. Le plus cocasse, c’est que la maire de Montpellier avait très envie de conserver son fauteuil. Mais, à la différence d’une Martine Aubry à Lille, d’un Bertrand Delanoë à Paris ou d’un Gérard Collomb à Lyon, elle est toujours fragile, même après une dizaine d’années de mandat. Très tôt, trois rivaux socialistes guignent sa place. Hélène Mandroux ne s’affole pas. Elle pense qu’elle s’imposera parce qu’elle est la maire sortante, la plus rassembleuse, la plus capable, la légitime…

« Tu as 73 ans, n’y pense pas… »

Et puis elle est sûre que la Rue de Solférino la soutiendra pour services rendus. N’a-t-elle pas, en 2010, accepté, à la demande de Martine Aubry, d’être la candidate du PS aux régionales face à Georges Frêche, accusé d’avoir insulté Laurent Fabius – souvenez-vous, la fameuse « tronche pas catholique » ? Contre la promesse, raconte un proche, d’un ministère à la Santé, elle avait accepté le combat. Hélène Mandroux était partie au front, sûre de perdre, mais décidée, par cet acte, à gagner le respect des Montpelliérains. C’est un fiasco : un peu plus de 7 % aux régionales, à peine plus de 10 % pour la ville de Montpellier. Frêche gagne par K.-O., avec 54,19 % des voix.

Le sacrifice d’Hélène Mandroux est donc vain : trois ans après, la Rue de Solférino ne compte pas solder les comptes en la reconduisant comme seule candidate. Au contraire, le Parti socialiste organise une primaire. Elle refuse d’y participer. Il est vrai que, en piètre politique, Hélène Mandroux n’a pas vraiment de réseau au sein du PS local. Face à elle, Jean-Pierre Moure, le président de la communauté d’agglomération de Montpellier, avance avec des bataillons d’anciens frêchistes. La défaite est inéluctable.

Plutôt que de faire campagne à Montpellier, Hélène Mandroux multiplie les voyages à Paris. Elle voit Jean-Marc Ayrault, sollicite François Hollande, rencontre Alain Fontanel, le conseiller politique de Harlem Désir. Devant chacun elle plaide sa cause (être désignée candidate), mais rencontre un mur. « Tu as 73 ans, n’y pense pas… », lui répond Fontanel. « Tu te rends compte, alors que j’ai 12 de tension, comme une jeune fille ! » confie à un ami cette menue grand-mère, qui mange comme un oiseau et se moule dans des jeans de midinette. On lui fait miroiter le Sénat, elle refuse. À la place, elle propose à Philippe Saurel, l’un des trois candidats socialistes, de faire équipe avec lui avant de lui laisser son fauteuil de maire en 2015. Rien n’y fait.

« C’est elle que je veux ! »

Alors, elle s’enferme dans le silence, boude le PS et regarde Moure gagner la primaire, à l’automne. Un temps, Mandroux laisse planer le doute : elle se présentera peut-être en dissidente à la mairie. Elle n’en fait rien. Ne décide rien. Jean-Marc Ayrault le fait pour elle.

Hélène Mandroux s’est souvent laissé porter. C’est son caractère : parfois cassante avec le petit personnel de la mairie, elle est surtout une femme discrète (elle a connu plusieurs deuils familiaux mais n’en parle jamais), un peu timide, un peu velléitaire aussi. L’exact contraire de Georges Frêche : lui décidait avant de discuter, elle cherche sans fin des arrangements. « Avec elle, c’est toujours le dernier qui parle qui a raison ! » regrette un ex-conseiller. Frêche prenait encore moins de gants pour railler cette femme sous influence : « Elle ne sait pas gouverner seule, elle est sous l’emprise de clans. » Le chirurgien Francis Navarro, un très proche, passe pour être devenu son gourou.

Madame la maire de Montpellier n’a même pas choisi d’entrer en politique ; c’est la politique qui l’a choisie. Un soir, au début des années 80, André Vézinhet, figure socialiste de l’Hérault, organise chez lui un dîner avec Georges Frêche et le couple Colas. Le mari est un homme brillant, que Frêche pourrait enrôler sur sa liste aux municipales de 1983, l’épouse (de son nom de jeune fille Mandroux) est plutôt une femme réservée. À la fin du repas, au cours duquel le mari a déployé tout son charme, Frêche lâche son verdict : « C’est elle que je veux ! » À l’époque, il a besoin de médecins sur sa liste, mais aussi de personnalités en mal de reconnaissance. C’est le cas d’Hélène Mandroux, issue d’un milieu social modeste, qui s’en est sortie en devenant médecin généraliste. D’autres diront que Frêche mise surtout sur des colistiers qui ne lui feront pas trop d’ombre…

Durant les premières années à la mairie, le tandem fonctionne bien. Devenue maire en 2004 (Georges Frêche est élu président de région), Hélène Mandroux applique docilement le programme de son prédécesseur. L’air de rien, elle prend un peu de distance, mais Frêche, patron de l’agglomération, garde les rênes courtes : « Le pouvoir à l’agglo, c’est moi, la broderie et les nids-de-poule, c’est elle. » Aux municipales de 2008, Frêche compose lui-même la liste. Elle est réélue, mais doit composer avec une majorité au sein de laquelle elle est… minoritaire.

« Mandroux ? Couic ! »

Les rapports avec Georges Frêche tournent alors à l’orage, parce qu’elle s’émancipe de plus en plus. En public, il la traite de « conne ». Et lorsqu’elle ose défier le grand homme aux régionales, c’est la haine. À l’évocation du nom de la félonne, Frêche fait mine de se trancher la gorge avec le pouce, accompagnant ce geste vif d’une menace : « Mandroux ? Couic ! » Une scène déclenche la guerre : quelques jours après les régionales, Frêche entre avec retard dans la salle du conseil municipal présidé par Hélène Mandroux. Théâtral, il prend la parole, tonitruant : « Nous réglerons notre différend un jour. La vie est longue, je suis patient, j’attendrai ce qu’il faut. » Mandroux fuit le combat. « Je ne veux pas polémiquer », répond-elle.

Georges Frêche n’a pas pu attendre. Sa mort, en octobre 2010, libère Hélène Mandroux. C’est en tout cas ce que pensent les Montpelliérains. « Pour elle, le champ est libre », observe l’un de ses anciens directeurs de cabinet. Les réseaux frêchistes sont à prendre, les sections du PS, à conquérir, les élus socialistes, à charmer. À la différence de Jean-Pierre Moure, qui s’allie les orphelins de Frêche, elle ne s’intéresse à rien de tout ça. La cuisine électorale, très peu pour elle. Encore une fois, Mandroux pèche par manque de jugement politique.

Elle préfère se consacrer à sa ville, ce qui est sans doute tout à son honneur. Mais, là encore, elle multiplie les maladresses : connue pour ses retards (elle s’est même fait insulter un 31 décembre lors d’une cérémonie de voeux en plein air par des Montpelliérains excédés), Hélène Mandroux néglige les visites sur le terrain, décale sans cesse ses rendez-vous, improvise des discours sans talent, change souvent de collaborateurs (elle a épuisé cinq directeurs de cabinet…). Au congrès de Toulouse du PS, elle a misé sur le mauvais cheval et, aux dernières législatives, n’a soutenu aucun candidat. En échange d’une vague mission sur la santé confiée par Jean-Marc Ayrault, elle doit désormais soutenir Jean-Pierre Moure, le dauphin de celui qui avait juré sa perte.

Source Le Point.fr