Tribune de France Jamet,
député français au Parlement européen,
Membre de la commission Pêche
Cela faisait des mois que la situation économique des pêcheurs en France et en Europe était très difficile, elle est devenue intenable depuis le début du conflit russo-ukrainien avec l’envolée vertigineuse des prix du carburant. Les dispositifs d’aides prévus par le Gouvernement français et la Commission européenne, s’ils sont bienvenus, ne sont malheureusement pas suffisants.
UNE PROFESSION RENDUE EXSANGUE PAR L’ENVOLÉE DES PRIX DU CARBURANT :
Depuis le 10 mars, le prix du gazole de pêche oscille autour de 1 euro par litre – avec un pic historique à 1,30€ – soit plus du double des prix affichés l’année dernière à la même période. Pour un bateau de 12 mètres, c’est-à-dire correspondant plus ou moins à la taille moyenne des navires de la flotte française, cela signifie près de 3 000 litres de carburant par mois , avec des variations en fonction de la distance parcourue et du type de pêche pratiquée. Avec les chalutiers, qui traînent de lourds filets de poissons derrière eux, la consommation peut atteindre 38 000 litres par mois. Pour un simple chalutier artisan de 16 mètres, les charges augmentent d’environ 1 200 euros par jour. Autant dire que pour les chalutiers de la Méditerranée, déjà frappés par les restrictions du plan de gestion européen West Med (40% de jours de sortie en mer en moins sur 5 ans), c’est la mise à mort assurée.
Les conséquences directement observables s’exercent sur la baisse des salaires des équipages, qui ne sont plus rémunérés à la juste valeur de leur travail. Deux semaines de travail dans des conditions souvent difficiles, dans des espaces exigus sur des bateaux soumis aux variations des caprices de la météo, ne rapportent guère plus qu’une poignée de centaines d’euros. Et comme les dépenses de carburant des gigantesques chalutiers travaillant pour les distributeurs (tels Intermarché) sont prises en charge par le groupe de grande distribution et non réparties entre les pêcheurs, c’est la pêche artisanale qui prend de plein fouet cette crise énergétique.
Malheureusement, et bien que le monde de la pêche soit demandeur en la matière, il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’alternative décarbonée viable : le biocarburant et l’hydrogène vert sont trop chers et encore peu opérationnels. Le tout électrique n’est qu’une chimère tant que les ports ne seront pas équipés de bornes électriques pour recharger les navires. Il n’est pas envisageable non plus pour les pêcheurs de répercuter le coût de ces hausses sur le prix du poisson, car les produits doivent rester abordables pour les consommateurs.
Poussés dans leurs derniers retranchements, bien des pêcheurs français, notamment en Bretagne, ont cessé leurs activités du 14 au 22 mars afin de protester contre cette flambée des prix. De toute façon, pour nombre d’entre eux, la perspective d’une sortie en mer n’est plus rentable.
UNE RÉACTION NATIONALE ET EUROPÉENNE TROP TARDIVE ET INSUFFISANTE :
À la suite de ce notable mouvement de grève, fidèle aux habitudes de ce Gouvernement qui agit toujours en réaction et non par anticipation, le Premier ministre Jean Castex a promis, le 16 mars dernier, une aide financière équivalente à 35 centimes d’euro par litre de gasoil pour les pêcheurs jusqu’à la fin juillet. Cette mesure, cautère sur jambe de bois, n’a bien sûr pas convaincu les pêcheurs pour lesquels seul le blocage du prix du carburant de pêche à 60 centimes le litre pourrait les soulager. De plus, beaucoup de chalutiers faisant leur plein de carburant à l’étranger, leur secteur de pêche est de fait exclu du système d’aide à la pompe. Selon les représentants des fédérations de pêche, cela représente 30% des achats de carburant par les pêcheurs.
Ajoutons qu’à l’heure qu’il est, le versement des aides promises n’a toujours pas eu lieu. La situation devient intenable et nécessite la mise en œuvre de cet engagement au plus vite, et avec effet rétroactif.
La Commission européenne s’étant octroyé toutes les compétences en matière de pêche, c’est de toute façon à elle qu’il revient de juger de l’eurocompatibilité des mesures de soutien à la pêche. Deux mesures ont récemment été adoptées par la Commission, les 23 et 25 mars, pour soutenir les secteurs de la pêche et de l’aquaculture dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie :
– un très léger relèvement du plafond d’aide par entreprise dite « minimis » (c’est-à-dire des aides d’État directes ou indirectes qui ne nécessitent pas l’accord préalable de la Commission) de 35 000 euros pour 2022 (en plus des 30 000 euros déjà autorisés dans ce cadre) avec effet rétroactif à partir du 24 février, date du début de l’invasion. Cette première mesure a été jugée très en deçà des attentes des professionnels. Le plafond de 65 000 euros des aides de minimis risque d’être vite atteint, notamment pour les armements ayant plusieurs navires. Au Conseil de l’UE, plusieurs États, dont la France, avaient demandé de relever ce plafond des aides en les portant à un montant d’au moins 300 000 euros.
– le retour du mécanisme de crise du FEAMPA (Fonds européen pour la pêche, l’aquaculture et la mer) qui avait déjà servi en 2020 lors de la crise du Covid. Concrètement, cela veut dire que les États-membres ont le droit de consacrer leur enveloppe FEAMPA pour une aide immédiate aux opérateurs des secteurs de la pêche, de l’aquaculture et de la transformation des produits de la mer, en leur offrant une compensation financière pour les pertes économiques et les coûts supplémentaires découlant de la perturbation actuelle du marché. Le deuxième volet de ce mécanisme de crise comprend également des aides pour le stockage des produits de la mer afin d’assurer un niveau des prix corrects sur le marché. Ce mécanisme temporaire entre en œuvre avec effet rétroactif à compter du 24 février jusqu’à la fin 2022.
Ces mesures destinées aux navires allant en mer et alimentant le marché sont évidemment bienvenues, mais aussi bien tardives, lorsque l’on sait qu’une grande part du précédent FEAMP n’a pas été utilisée. Et au lieu de légiférer en faveur d’une meilleure utilisation de ces fonds avec le nouveau FEAMPA 2021-2027, la Commission européenne a récemment tenté d’en compliquer plus encore l’accès.
PRENDRE DES MESURES COMPLÉMENTAIRES D’URGENCE :
Il est navrant de constater qu’il faut attendre de graves crises économiques pour que l’Union européenne découvre quelques bienfaits du protectionnisme, sans toutefois aller au bout. Lors de la dernière plénière du 24 mars, les élus du Rassemblement National au Parlement européen ont adopté une résolution commune sur la sécurité alimentaire, qui réclamait des mesures d’urgence bien plus larges que ce que propose la Commission :
– soutien à l’arrêt temporaire des activités de pêche ;
– augmentation de la flexibilité des quotas annuels (hausse de 10 à 25%), comme cela a déjà été fait en 2015, après que l’annexion de la Crimée par la Russie a engendré une forte perturbation des marchés mondiaux pour un certain nombre de stocks halieutiques. En effet, la Commission doit dès maintenant prendre des dispositions similaires pour garantir que les quotas inutilisés en 2022 soient transférés à 2023 ;
– l’augmentation du plafond des aides d’État (minimis) jusqu’à 500 000 euros et l’inclusion de la pêche et de l’aquaculture dans le cadre temporaire pour les aides d’État. Il est inconcevable qu’en période de crise, les États-membres ne puissent pas protéger les acteurs de leurs économies au nom du dogme européiste de la « concurrence libre et non faussée ». Cette proposition de relèvement conséquent du plafond des minimis est d’autant plus vitale que sont compris dedans les dispositifs d’exonération de charges que peut mettre en œuvre l’État-membre concerné pour aider ses patrons-pêcheurs.
La situation actuelle de la filière pêche demande des mesures immédiates et renforcées sur le court terme, car elle est en état d’urgence vitale. À plus long terme, cette crise énergétique met en lumière la nécessité pressante d’aborder le problème de l’efficacité énergétique des navires. Les pêcheurs sont en première ligne face à la fluctuation des cours mondiaux du pétrole parce que leurs navires, trop anciens, sont étudiés pour fonctionner selon un modèle de consommation datant de l’époque où le baril de pétrole avait un coût inférieur à 50 dollars. Ce monde-là étant révolu, la viabilité économique des navires de pêche passe donc par une adaptation à la nouvelle donne énergétique.
PROTECTION – PROJECTION – TRANSMISSION :
Le triptyque fondateur de la vision de Marine Le Pen correspond parfaitement aux attentes de nos pêcheurs.
Protection : Il faut des mesures de soutien immédiates pour sauver nos filières pêche et aquacole, indispensables à notre souveraineté et sécurité alimentaires ;
Projection : Il faut financer la recherche et l’innovation technologique et énergétique auxquelles les gouvernements successifs ne sont pas attachés, sinon à leur imposer une écologie punitive ;
Transmission : Il faut permettre à nos pêcheurs et aux acteurs de l’aquaculture de transmettre leurs métiers, leurs savoirs et ce patrimoine d’excellence qui fait la fierté de notre France.